2008-12-18

Les vignerons de Féchy s’élèvent contre le «bradage» des terroirs

La révision du régime des AOC vaudoises, qui doit être présenté en février, conduit à d’importants remaniements des zones d’appellations, actuellement au nombre de 28. Sur La Côte, certains s’y opposent radicalement.

Prêts à se battre pour leur AOC. De g. à d.: Philibert Frick, Jean-Luc Kursner, Pierre-André Gallay, Alain Bettems et Richard Aguet.
(Image: Florian Cella)

Les vignerons de Féchy sont très remontés. Le projet de réforme des AOC vaudoises leur laisse un fort goût d’amertume. Alors que celui-ci doit être présenté et mis en consultation en février prochain, avant d’être validé par le Conseil d’Etat, l’Association de propriétaires de vignes en appellation Féchy monte aux barricades. Son président Jean-Luc Kursner ne mâche pas ses mots: «On veut flinguer les vins de terroir au profit des vins labélisés et de marques. C’est une vision à court terme pour profiter des appellations phares afin de vendre du vin à vil prix».

Les raisons de la colère? Le projet de redéfinition des AOC prévoit notamment une extension des appellations connues et à grand potentiel commercial, en englobant des lieux de production qui ont aujourd’hui leur propre AOC. Il faut dire qu’il y a 28 appellations pour le moment dans le canton de Vaud (voir carte). C’est beaucoup trop pour la plupart des acteurs dans le monde du vin. Dès lors, le groupe de travail formé sous l’égide de l’Etat planche depuis le printemps sur ce redécoupage. Si, officiellement, son travail est confidentiel et rien est arrêté, on peut déjà se faire une idée de la future carte des AOC.

Les producteurs du Chablais seraient regroupés sous l’appellation Aigle, alors qu’il y en a cinq actuellement. Même chose du côté de Féchy, qui s’étendrait à de nouveaux lieux de production inscrits sous deux AOC (Aubonne, Perroy, Allaman).

«Ce gonflage artificiel équivaudrait à doubler l’aire d’appellation Féchy, de 178 à 368 hectares, dénonce l’Association des propriétaires. Cela signifie que l’on pourra avoir du Féchy sans aucun grain de raisin de ce vignoble, alors que les vignerons du village travaillent depuis des générations à la mise en valeur et la protection de nos coteaux.» Ils sont soutenus par le député Jean-Marie Surer, qui a déposé mardi une interpellation au Grand Conseil.

Pour bien comprendre l’enjeu de cette bataille, il faut dire qu’actuellement, l’AOC Féchy – comme les autres – peut contenir jusqu’à 49% de la production des zones AOC directement voisines. Cette spécificité «bien vaudoise», qui doit être abolie afin de se conformer aux normes européennes, complique singulièrement l’affaire. Car, une grande partie de la production de bouteilles Féchy disparaîtrait purement et simplement si on la restreignait aux seules parcelles du village.

Le groupement de vignerons, qui mise sur le haut de gamme, s’en réjouirait car cela permettrait d’affirmer la valeur du terroir. Il verrait d’un bon œil la création – non seulement d’une région – mais d’une AOC La Côte pour distinguer les vins bon marché. Les négociants, qui travaillent avec les grands distributeurs, estiment de leur côté qu’il faut, au contraire, étendre le territoire des AOC afin de continuer à fournir les mêmes quantités sous le nom des dénominations phares.

Réaction de Gilles Cornut, président de la communauté interprofessionnelle du vin vaudois (CIVV), qui fait partie du groupe de travail: «Il faut dépasser l’esprit de clocher. Nos appellations sont déjà tellement petites.» Il donne l’exemple du Barolo qui représente 10 millions de bouteilles alors que seul le dixième est issu du territoire de la commune italienne. Pour lui, la solution pour mettre en valeur le Féchy est d’en passer par une autre sélection que l’aire géographique. Ainsi tous les vins de ce terroir pourraient arborer le label 1er grand cru de Féchy. La nouvelle réglementation, admet-il, est plus complexe que l’ancienne. Mais elle crée une hiérarchie qui doit permettre au consommateur de mieux s’y retrouver.

 


 

D’autres résistances dans le canton

Les défenseurs du Féchy déplorent d’être très mal représentés dans le groupe de travail qui planche sur la réforme des AOC, au contraire des grandes maisons de vins. Mardi, ils étaient toutefois entendus par ce groupe, dirigé par Dominique Favre, chef du Service cantonal de la viticulture. Ce dernier ne veut pas s’exprimer sur la démarche de Féchy.

Dans l’appellation Mont-sur-Rolle, où la situation est similaire, des oppositions se sont aussi manifestées. Mais elles ne se sont pas exprimées car, dit-on, les deux camps sont égaux… En Lavaux, il y aurait aussi quelques «réticences», mais c’est surtout à Aigle que des voix se sont élevées comme à Féchy. Mardi, le groupe de travail a aussi reçu les délégués de l’AOC Aigle.

L’un d’eux, Marc Taverney, relève que le projet est bon dans l’ensemble mais qu’il s’agit surtout de veiller aux noms liés à l’AOC, car Chablais pose problème. Il faut dire qu’Aigle bénéficie d’une notoriété supérieure, surtout en Suisse alémanique. Conséquence: pour une même qualité, le chasselas en vrac de ce vignoble est acheté un bon tiers plus cher que l’Ollon, lui aussi AOC. Sur les bouteilles la différence se chiffre à environ un franc, soit 10%. Ce qui explique pourquoi certains craignent d’être lésés, en raison d’un nivellement des prix.

 


 

AOC déguisés en appellations grands crus?

La branche viticole vaudoise est aujourd’hui en bien meilleure santé qu’en 1995 lorsqu’entrait en vigueur le règlement actuel définissant les 28 appellations d’origines contrôlées vaudoises. Pour beaucoup de professionnels, celui-ci a donné un coup de fouet salutaire. Mais, aujourd’hui, alors qu’il faut se conformer à la pratique européenne et à la Politique agricole 2011 de la Suisse, les intérêts des uns et des autres sont tout autant divergents.

Non seulement entre négociants et vignerons-encaveurs, mais également entre ces derniers, selon le terroir où sont plantées leurs vignes. C’est ainsi qu’il n’est pas certain que les appellations diminuent réellement en nombre comme on l’imaginait jusqu’à présent. A Féchy, on met en exergue que tous les noms d’AOC actuels subsisteraient en tant qu’appellations. Ceux-ci seraient toutefois liés au terme de «grand cru», s’ils répondent à certains critères.

Reste à définir dans la pyramide qualitative des vins vaudois les différents labels, comme «village», ou «premiers grands crus». Un chapitre si complexe, qu’il sera traité après le 1er juin 2009, date d’entrée en vigueur du nouveau règlement des AOC, afin de le «déguster» déjà lors de la prochaine récolte. Espérons qu’il soit aussi au goût des consommateurs!

 

 

Source: Jean-Marc Corset pour 24heures

 


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